Un Bain de ménage (Georges FEYDEAU)
Vaudeville en un acte.
Représenté pour la première fois sur la scène du Théâtre de la Renaissance, le 13 avril 1888.
Personnages
COCAREL, 29 ans
CATULLE, collégien de 16 ans
LAURENCE COCAREL
ADÉLAÏDE, bonne de Laurence
Scène première
ADÉLAÏDE, CATULLE portant un seau
Un vestibule. Au fond, la porte du salon. À droite, premier plan, porte d’entrée. À gauche, premier plan, une porte donnant sur les appartements de Laurence. À droite de cette porte, un cordon de sonnette. Dans le pan coupé de gauche, autre porte donnant sur les appartements de Cocarel. Au fond, un peu à gauche de la porte du salon, un paravent ; adossée au paravent, une chaise ; contre le pan coupé de droite, une table carrée ; au milieu de la scène, une baignoire, quelques chaises légères d’antichambre.
ADÉLAÏDE, un bougeoir à la main.
Allons, un peu de courage, c’est le dernier...
CATULLE.
C’est pas malheureux !
Il vide le seau dans la baignoire.
ADÉLAÏDE.
Ah ! c’est fini... ouf !
Elle s’assied avec lassitude.
CATULLE.
Hein !... ah ! oui, ça a dû te fatiguer...
ADÉLAÏDE.
Ah ! allez, Monsieur Catulle, c’est dur d’être femme de chambre...
CATULLE.
À qui le dis-tu... matin !
ADÉLAÏDE.
Si j’avais su... c’est moi qui n’aurais pas quitté le demi...
CATULLE.
Le demi...
ADÉLAÏDE.
Eh ! bien, dites... oui le demi... j’étais placée dans le demi... chez une cocotte, dites... j’ai voulu être chez une femme honnête. ah bien, dites, on vous fait porter l’eau, chez les femmes honnêtes... v’là ce que c’est que de déroger...
CATULLE.
Comment, tu as servi chez une cocotte ?
Avec envie.
Oh ! tu as de la chance !
ADÉLAÏDE.
Ah ! dites, c’est que c’était joliment plus agréable chez elle ! D’abord, je n’étais pas seule... il y avait Benoît, le valet de pied, qui était aussi l’oncle de Madame, quand il y avait des étrangers...
CATULLE.
Allons donc !
ADÉLAÏDE.
Parole ! J’ai même jamais pu savoir si c’est son domestique qui lui servait d’oncle ou son oncle qui lui servait de domestique. Enfin, n’importe ! l’ouvrage allait joliment plus vite... Vous pensez, à nous deux !
CATULLE.
Vous faisiez tout ?...
ADÉLAÏDE.
Non ! nous ne faisions rien ! oh ! Madame avait tant d’amis, c’était pas la peine de fatiguer les domestiques.
CATULLE.
C’est juste... Dis donc, Adélaïde...
ADÉLAÏDE.
Monsieur...
CATULLE.
Tu devrais me présenter à ton ancienne maîtresse...
ADÉLAÏDE.
Moi ?...
CATULLE.
Ah ! oui, dis...
ADÉLAÏDE.
Oh ! Je regrette, Monsieur... mais nous sommes en froid... Elle s’est mal conduite avec moi... alors, je l’ai quittée...
CATULLE.
Qu’est-ce qu’elle t’a fait ?
ADÉLAÏDE.
Elle m’a flanquée à la porte.
CATULLE.
Allons donc !...
ADÉLAÏDE.
Oui... oh ! depuis quelques temps elle ne me satisfaisait plus...
CATULLE.
Voilà bien ma guigne, moi qui voudrais tant connaître une cocotte... Tiens !... il y a Badingeard, un de mes copains au collège, qui en a une, lui... eh bien ! tu n’as pas idée comme ça le pose ! quand il passe on dit : « Tiens ! Voilà Badingeard, celui qui a une cocotte »... Et il est le premier de sa classe... lui ! il a de la chance. Dis-moi, elle était jolie, ton ancienne maîtresse ?
ADÉLAÏDE.
Mon Dieu, le soir... oui... mais le matin... oh ! toc !
CATULLE.
Ah ! le matin, ça je m’en fiche... pourvu que le soir... comme c’est pour les élèves, pour embêter Badingeard !... ah ! ah !... dis, tu ne peux pas me présenter tout de même ? ah ! dis ! mais tu sais, je paierai... je sais que cela coûte de l’argent... Badingeard me l’a dit...
ADÉLAÏDE.
Ah !
CATULLE.
Dieu merci !... j’ai mes semaines...
ADÉLAÏDE.
Ah, bien ! alors !...
CATULLE.
Papa a chargé mon cousin Cocarel... qui est maintenant mon correspondant, de me donner 10 francs par semaine.
ADÉLAÏDE.
Et vous pensez qu’avec cet argent ?...
CATULLE.
Oh ! avec de l’argent, on arrive à tout... même avec une cocotte ! et dire que je n’en ai jamais connu, moi !... une fois, j’ai bien cru cependant, on m’avait dit : « Voici, c’en est une ! » eh bien ! oui ! Elle m’a demandé 10 louis. J’ai bien vu que c’était une femme du monde.
ADÉLAÏDE, qui, pendant toute la scène, a arrangé les divers objets nécessaires au bain, plie le peignoir de Laurence.
Allons ! Il ne faut pas désespérer, monsieur Catulle... Voyons ! tout est prêt ! Madame va pouvoir prendre son bain.
CATULLE.
Son bain !... alors, ce bain est pour ma cousine ?...
ADÉLAÏDE.
Dame !
CATULLE, avec un soupir.
Ah ! Elle est bien heureuse, cette baignoire !
ADÉLAÏDE.
Ah ! candeur...
CATULLE.
Ah ! elle est si jolie, ma cousine !
ADÉLAÏDE.
Eh bien ! il faut le lui dire...
CATULLE.
Ah ! je n’oserais pas... je suis trop timide... mais c’est égal, je suis bien content que papa me fasse sortir chez mon cousin Cocarel.
ADÉLAÏDE.
Alors, vous êtes timide avec les femmes ?
CATULLE.
Ah ! pas avec vous !
Il l’embrasse.
ADÉLAÏDE.
Ah bien ! dites donc ; faudrait pas me prendre pour une horizontale...
Scène II
ADÉLAÏDE, CATULLE, LAURENCE
LAURENCE, sortant de gauche, elle est en déshabillé.
Eh bien ! Ce bain est-il prêt ?
ADÉLAÏDE.
Oui, madame.
LAURENCE.
Ah ! Catulle, ce n’est pas pour te chasser, mais je vais prendre mon bain !
CATULLE.
Je comprends, ma cousine.
À part.
Décidément, elle ne m’aime pas.
LAURENCE, trempant ses doigts dans l’eau.
Oh ! mais vous êtes folle, ma fille ! mais c’est de l’eau bouillante !
ADÉLAÏDE.
Oh ! Quand Madame sera dans le bain, cela aura le temps de refroidir. Madame sait que quand c’est chaud, ça refroidit ; quand c’est froid, ça ne se réchauffe pas.
LAURENCE.
Ah ! il paraît que vous avez fréquenté M. de la Palisse.
ADÉLAÏDE.
Ah ! Madame, c’est une calomnie ! Dieu merci !... j’ai des principes !...
LAURENCE.
Comment, M. de la Palisse ?
ADÉLAÏDE.
M. de la Palisse, de l’aristocratie !... Je suis extrême-gauche, moi, Madame.
Scène III
ADÉLAÏDE, CATULLE, LAURENCE, COCAREL
COCAREL.
Laurence, où sont mes gants, mes nouveaux gants, mes beaux gants ?...
LAURENCE.
Dans mon armoire à glace. Allez les chercher, Adélaïde.
Adélaïde sort.
COCAREL.
Tiens ! tu prends un bain dans l’antichambre.
LAURENCE.
Où veux-tu que je le prenne, puisqu’il n’y a pas de salle de bains ? Je ne puis pas me baigner au salon !
COCAREL.
Mais s’il vient du monde !
LAURENCE.
À cette heure-ci ! Dix heures et demie.
COCAREL.
C’est juste !
À Catulle.
Est-ce que tu sors, toi ?
CATULLE.
Oui, nous descendrons ensemble.
Voix d’ADÉLAÏDE.
Madame, je ne trouve pas les gants !
LAURENCE.
Attendez, j’y vais !
À Cocarel.
Cette fille est si peu intelligente...
COCAREL.
Mais non, mon amie, je t’assure.
LAURENCE.
Ah ! tu la défends toujours, toi !
Elle sort.
Scène IV
CATULLE, COCAREL
COCAREL.
Alors, tu viens ?
CATULLE.
Oui, passons-nous la soirée ensemble ?
COCAREL.
Ah, non ! Impossible !... Ce soir, je fais mes farces ! adorable, vois-tu, une petite femme exquise...
CATULLE.
Ah ! mes félicitations !
Scène V
CATULLE, COCAREL, LAURENCE, ADÉLAÏDE
LAURENCE.
Tiens ! les voilà, tes gants.
ADÉLAÏDE.
Ils étaient sous les caleçons de Monsieur.
COCAREL.
Eh bien ! vous ne pouviez pas les trouver ?
ADÉLAÏDE.
Oh ! Monsieur, sous des caleçons !
COCAREL.
Eh bien, quoi ! dans une armoire !
Il hausse les épaules.
Là, je suis correct ! Regardez ces gants ! Est-ce assez pur ? Voyons, en me voyant ainsi, qu’est-ce que vous diriez si vous étiez femme ?
ADÉLAÏDE.
Comment, si j’étais femme ?
COCAREL.
C’est une manière de parler, enfin, qu’est-ce que vous dites de mes gants ?
ADÉLAÏDE.
Ah ! belle peau. Monsieur est tout à fait chic avec ! C’est que je m’y connais en daim.
COCAREL.
Ah ! bien, je croyais !
CATULLE, à Cocarel.
Allons, viens-tu ?
COCAREL.
Va.
À Laurence.
Je m’en vais, ma chérie. Je ne sais pas à quelle heure je rentrerai. Ne m’attends pas. Prends ton bain et couche-toi.
LAURENCE.
Tu ne viendras pas me dire bonsoir en rentrant ?
COCAREL.
Moi ?... non, il faut que tu dormes.
CATULLE.
Ah ! si c’était à moi qu’on eût dit cela !
COCAREL.
Tu as besoin de repos... de repos pour deux, tu sais. Allons, bonsoir... Ah ! si tu savais comme cela m’ennuie de sortir !...
CATULLE.
Comédien, va !
LAURENCE.
Eh bien ! alors, reste !
COCAREL.
Non, vois-tu, fillette, je ne peux pas. J’ai un rendez-vous... un rendez-vous d’affaires. Allons, au revoir, je me sauve. Viens, Catulle !
CATULLE.
C’est ça... partons.
Scène VI
ADÉLAÏDE, LAURENCE
LAURENCE.
Pauvre Sosthène ! Il avait bien envie de rester tout de même.
ADÉLAÏDE.
Ah ! c’est-à-dire que Monsieur s’est fait violence...
LAURENCE.
N’est-ce pas ?
ADÉLAÏDE.
Ah ! il aime tant Madame ! Je ne sais pas ce qu’il est dans l’intimité...
LAURENCE.
Ah ! bien ! À...
ADÉLAÏDE.
Oh ! Pardon, Madame... Mais Madame ne va pas prendre son bain ?
LAURENCE.
Ma foi si, il doit être bien à présent.
Prise d’un étourdissement.
Ah ! mon Dieu.
ADÉLAÏDE, effrayée.
Qu’a donc, Madame ?
LAURENCE.
Oh ! je ne sais pas, je vois tout bleu, tout tourne autour de moi.
ADÉLAÏDE, rassurée, la soutenant.
Ah ! bon ! Ce ne sera rien.
LAURENCE.
Il me semble que je vais tomber.
ADÉLAÏDE.
Ah ! que ce doit être bon des étourdissements légitimes !
LAURENCE.
Décidément non, je ne prendrai pas de bain, je rentre chez moi, vous pouvez monter vous coucher ; moi, je vais en faire autant.
Adélaïde la conduit jusqu’au seuil de sa porte.
ADÉLAÏDE.
Madame n’a plus besoin de moi ?
LAURENCE.
Non, merci, ma fille, je vais mieux.
Elle rentre dans son appartement.
ADÉLAÏDE.
Là ! bonsoir, Madame.
Scène VII
ADÉLAÏDE
Une bonne nuit pas là-dessus et il n’y paraîtra plus. Pauvre petite femme ! Et dire que cela pourrait m’arriver, à moi aussi, si je me mariais. Cela pourrait même m’arriver sans cela ! Mais, bernique !... pas si bête ! On a l’œil.
Allant à la baignoire.
Oui, mais avec tout ça, Madame ne prend pas son bain, un bain si apaisant. Quel coulage ! Voilà un bain perdu... Oh ! quelle idée... il est encore tout chaud, Madame est couchée, Monsieur est sorti, ma foi... si je... Eh, allez donc !...
Elle déboutonne son corsage.
Comme cela, il n’y aura rien de gâché !
On entend le bruit d’une clef tournant dans la serrure de la porte de droite premier plan.
Mon Dieu ! quelqu’un ! Ce doit être Monsieur ou Monsieur Catulle...
Elle éteint sa bougie et se cache derrière le paravent.
Scène VIII
ADÉLAÏDE, COCAREL
COCAREL.
Pristi ! il fait noir comme dans un four !
ADÉLAÏDE, à part.
C’est Monsieur, je ne me trompais pas.
COCAREL.
Où a-t-on mis les bougies ?
Il cherche à tâtons.
Oh ! Je suis furieux !
Il se cogne contre un meuble.
Pardon ! Il n’y a qu’à moi, il n’y a qu’à moi qu’il en arrive de pareilles ! Non, c’est énorme !
Il se cogne contre un autre meuble.
Pardon ! À peine suis-je descendu que le concierge m’appelle et me dit : « Il y a une lettre pour Monsieur »... Je reconnais l’écriture ; qu’est-ce que c’est, me dis-je ? Je romps, je romps le cachet et je lis.
ADÉLAÏDE.
Ah ! t’as pas fini ?
COCAREL, machinalement.
T’as pas fini ! hein ! les oreilles m’ont corné... je lis... ; « Mon gros So... », elle m’appelle toujours son gros So... abréviation de Sosthène. « Mon gros So, ne viens pas ce soir, mon singe m’emmène chez Bidel. » Comme s’il ne pouvait pas se dispenser de ces réunions de famille. C’est énorme ! Je suis furieux !... Dieu que c’est embêtant !...
ADÉLAÏDE, à part.
Est-ce qu’il ne va pas s’en aller ?
COCAREL.
Avec tout ça, je ne trouve pas les bougies.
Il se cogne dans la baignoire.
Crac ! allons bon !... Comment ; ma femme a déjà pris son bain ?... Oh ! elle aura changé d’idée. C’est si capricieux les femmes ! Elle a fait préparer son bain et puis elle ne l’a pas pris... C’est bien ça !... non, c’est énorme ! enfin !
Il se dirige vers la chambre.
Allons, je trouverai de la lumière chez moi.
Scène IX
ADÉLAÏDE
Ouf ! j’ai cru qu’il allait coucher là. Me laissera-t-on enfin prendre mon bain bien tranquillement.
Elle rallume sa bougie.
Allons, Monsieur est rentré chez lui... Je crois qu’on peut y aller carrément.
Elle retire son corsage.
Ciel !
On entend tousser dans la chambre de Cocarel.
Ciel ! Monsieur ! encore lui ! ah ! en voilà une colle !
Elle éteint la bougie et se réfugie derrière le paravent.
Scène X
ADÉLAÏDE, COCAREL
Cocarel entre, une bougie d’une main, une bouillotte d’eau chaude de l’autre. Il est en pantalon et en pantoufles et tient sa robe de chambre sous le bras.
COCAREL.
Il m’est venu une idée... Je me suis dit : « Voilà un bain qui ne fait rien... qui me tend les bras. Eh, bien ! je vais le prendre. »
Il pose sa bougie sur la chaise qui est contre le paravent.
Et, ma foi ! je viens prendre mon bain !
Il verse l’eau de la bouillotte dans le bain.
ADÉLAÏDE, à part.
Eh bien ! qu’est-ce qu’il fait ?
COCAREL.
J’ai toujours des idées excellentes, moi.
Il trempe ses doigts dans le bain.
Ah ! l’eau est exquise ! pas trop chaude, cela ne pourra me faire que du bien !
ADÉLAÏDE.
Hein ! Il va prendre son bain ? en voilà une idée. Si je pouvais m’échapper.
Elle souffle la bougie.
COCAREL.
Hein ! ma bougie qui s’est éteinte. Qu’est-ce que ça veut dire ? Il n’y a rien d’ouvert, cependant !
ADÉLAÏDE.
Comme cela je pourrai profiter de l’obscurité !
Elle sort de derrière le paravent, sur la pointe des pieds.
COCAREL.
Non, cela n’est pas naturel, je vais rallumer.
ADÉLAÏDE.
Oui, si tu trouves des allumettes.
Elle met la boîte dans sa poche.
COCAREL.
Où sont-elles ? Je ne les trouve pas.
ADÉLAÏDE, se cognant sur un meuble.
Ah ! maudit tabouret.
COCAREL.
On a marché ! Qui est là ?
Adélaïde reste clouée sur place et ne bouge pas.
COCAREL.
Voyons, répondez, j’ai bien entendu ! Laurence, c’est toi ? Dis !... Voyons !... pas de farce !... Laurence !
Il saisit le bras d’Adélaïde.
ADÉLAÏDE.
Aïe !
COCAREL.
Ah ! je te tiens !
Il lui passe la main sur la figure.
Nous allons bien voir !... une femme !... Ah ! tu vois bien que c’est toi, c’est inutile de te cacher, je te reconnais. Voilà bien ton nez !... ta taille !... je reconnais ta taille. Ainsi ce n’est pas la peine... et puis, est-ce qu’un mari ne reconnaît pas toujours sa femme, même au milieu de l’obscurité ?...
ADÉLAÏDE.
Ah ! ma foi tant pis ! c’est le seul moyen de m’en tirer.
COCAREL.
Voyons !... finis cette plaisanterie !... Dis-moi, n’est-ce pas que c’est toi ?
ADÉLAÏDE, bas.
Eh bien ! oui, là, c’est moi.
COCAREL.
Parbleu ! je n’ai pas besoin de voir clair !... Mais tu sais que l’obscurité te change la voix ; mais comment ne dors-tu pas à cette heure ? Qu’est-ce que tu fais là ?
ADÉLAÏDE.
Vous... tu trouves ?
COCAREL.
Oui.
ADÉLAÏDE, bas.
Rien !... je ne sais... j’étais couchée... tout à coup, je me suis dit : « Je vais faire six fois le tour du vestibule ». Alors, je n’ai plus tenu... je me suis levée, et voilà ; je suis en train de faire six fois le tour du vestibule.
COCAREL.
Une envie ! oh ! cher ange !
ADÉLAÏDE, à part.
Ouf !
COCAREL.
Mais tu as bien fait... tu as bien fait. Tous tes caprices, il faut te les passer, entends-tu ?... Tu n’as pas d’autre fantaisie ?
ADÉLAÏDE, bas.
Mon Dieu ! non... ah, si !... j’ai trouvé que nous ne payions pas assez cette bonne Adélaïde qui me sert si bien. Alors j’ai résolu de l’augmenter.
À part.
Pas bête, ça !
COCAREL.
Comment, tu veux ?... oh ! À quoi ça sert ? Elle ne se plaint de rien, cette fille... Il ne faut pas habituer les domestiques à ces choses-là.
ADÉLAÏDE, bas.
Oh ! mais moi, je veux...
COCAREL.
Voyons, c’est ridicule, demande autre chose. Veux-tu que je te mène demain à la Tour Eiffel ?
ADÉLAÏDE, bas.
Non, je veux qu’on augmente Adélaïde, là !
COCAREL.
Là ! là ! je l’augmenterai... Tu es là à crier tout bas. Calme-toi, voyons, qu’est-ce qu’elle a par mois ? 70 francs. Eh bien ! je lui en donnerai 72 ; là, es-tu contente ?
ADÉLAÏDE.
72 ! ah, bien !... t’es vraiment rapiat !
COCAREL.
Hein ! comment dis-tu ?... En voilà un argot !... Qu’est-ce qui t’a appris ce langage ?
ADÉLAÏDE, interloquée.
Mais... ma mère. Il paraît que dans la vie, il est bon de savoir parler plusieurs langues.
COCAREL.
Allons, poupoule, sois gentille, va te coucher, je vais allumer et te reconduire jusque chez toi...
ADÉLAÏDE, vivement.
Non, non, n’allume pas !...
À part.
Il ne manquerait plus que ça !...
Haut.
...Non ! non, j’aime mieux l’obscurité, je rentrerai toute seule.
COCAREL.
Mais si, attends... Où y a-t-il des allumettes ?
ADÉLAÏDE.
Oui, cherche...
COCAREL.
Ah ! je suis bête !... j’en cherche et j’en ai dans ma veste.
ADÉLAÏDE.
Hein ! Il va allumer...
Jouant l’évanouissement.
Ah ! Mon Dieu, un étourdissement !
COCAREL, effaré.
Laurence ! Ah ! mon Dieu ! Laurence !
Il la prend dans ses bras et l’assied sur ses genoux.
Scène XI
ADÉLAÏDE, COCAREL, LAURENCE
Laurence, en déshabillé, un bougeoir d’une main, une bouillotte de l’autre.
LAURENCE.
Ma foi, mon étourdissement est passé, je vais prendre mon bain.
COCAREL, ahuri.
Ma femme !... Adélaïde !...
LAURENCE, idem.
Mon mari !...
ADÉLAÏDE.
Madame !
COCAREL.
Qu’est-ce que cela veut dire ? J’ai la berlue !...
LAURENCE.
Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là ?
COCAREL.
Mais, tu vois !... je... je vais prendre mon bain.
LAURENCE.
Avec Adélaïde sur vos genoux !
COCAREL, bien effaré.
Sur mes genoux ? Elle était sur mes genoux, Adélaïde ?
LAURENCE.
Dame, il me semble !...
COCAREL, idem.
Je ne m’en suis pas aperçu... Vous étiez sur mes genoux, Adélaïde ?
ADÉLAÏDE, éplorée.
Oh ! Tout à fait au bout, Monsieur.
COCAREL, idem.
Ah ! Tout au bout !... c’est possible... sur la rotule... Elle était sur mes rotules, cela ne peut pas compter...
LAURENCE.
Vraiment ! Et pourquoi est-elle sur vos rotules ?
COCAREL.
Ah ! Je me le demande...
À Adélaïde.
Oui, pourquoi étiez-vous sur mes rotules ?
ADÉLAÏDE, balbutiant.
Ah !... je n’avais pas vu... Monsieur.
COCAREL.
Ah ! vous ne... c’est une réponse !
À Laurence.
Tu vois, elle ne m’avait pas vu...
LAURENCE.
Oh ! c’est trop fort, Monsieur !... Vous osez joindre l’hypocrisie à votre libertinage !...
COCAREL.
Libertinage !... liberti... elle a dit... Liberti...
LAURENCE.
Libertinage !... oui, Monsieur... oh ! c’est infâme, me tromper, moi ! après six mois de mariage ! et avec qui ? avec ma femme de chambre.
COCAREL.
Voyons, Laurence.
LAURENCE.
Laissez-moi, Monsieur !
ADÉLAÏDE.
Mais, Madame...
LAURENCE.
Taisez-vous, je vous chasse !
ADÉLAÏDE.
Mais au moins, que Madame m’écoute !...
LAURENCE.
Quoi, vous avez l’impudence... Sortez !...
ADÉLAÏDE.
Mais...
LAURENCE.
Sortez !...
ADÉLAÏDE, à part, en s’en allant.
Oh ! il avait bien besoin de venir prendre son bain, lui...
Scène XII
LAURENCE, COCAREL
LAURENCE.
Et maintenant à nous deux, Monsieur !
COCAREL.
Ouf !
LAURENCE.
Veuillez m’expliquer votre conduite.
COCAREL.
Eh bien ! voilà ! je vais tout te dire.
LAURENCE.
Vous mentez ! taisez-vous !
COCAREL.
Mais je n’ai encore rien dit.
LAURENCE.
Parbleu ! votre silence vous condamne.
COCAREL.
Voyons, Loulou ?...
LAURENCE.
Il n’y a pas de Loulou !... Ainsi, voilà tout ce que vous trouvez à dire pour votre défense... ! « Voyons Loulou », et vous trouvez que cela suffit ?
COCAREL.
Eh bien ! non, voilà... à première vue, n’est-ce pas, cela a l’air un peu... eh bien ! Pas du tout...Tu vas voir... c’est très naturel.
LAURENCE.
Ah bien ! je serais curieuse...
COCAREL.
Toute notre justification... la voilà ! nous... allions... prendre notre bain...
LAURENCE.
Ah ! vous alliez !... en même temps ?
COCAREL.
Mais non !... comment veux-tu ?... La baignoire est trop petite !...
LAURENCE.
Hein !...
COCAREL.
Non, ce n’est pas ce que je voulais dire... Enfin, tiens ! justement nous étions en train de tirer à la courte paille pour savoir qui passerait le premier. Tu vois !
LAURENCE.
Ah çà ! tu es cynique... comment ! je vous prends en flagrant délit, je vous trouve, là, tous les deux en tête à tête, au milieu de l’obscurité, et vous voudriez me faire croire !...
COCAREL, avec conviction.
Ah ! quelle fâcheuse idée j’ai eu de vouloir prendre ce bain !
LAURENCE.
Savez-vous bien que je puis vous traîner devant les tribunaux !... Lisez le Code, article 339.
COCAREL, digne.
Comment, tu connais le Code ?
LAURENCE.
Ma mère a eu la précaution de m’apprendre les divers articles qu’il est bon de connaître dans un ménage.
COCAREL.
Une fière idée qu’elle a eu là, Madame ta mère !...
LAURENCE.
Je vous défends d’insulter ma mère.
COCAREL.
Moi, je l’insulte !... mais tu es folle !
LAURENCE.
Dès demain, je la mets à la porte, votre Adélaïde...
COCAREL.
Mon Adélaïde ?...
LAURENCE.
Oui, Monsieur !... et c’est moi qui vous la chercherai, votre femme de chambre... une femme sérieuse... une femme mûre... et je sais où j’irai vous la prendre.
COCAREL.
À Sainte-Périne ?
LAURENCE.
Eh ! bien oui, Monsieur, à Sainte-Périne, s’il le faut !... Je ne vous engage pas à plaisanter !... allez ! mais vous faites erreur...
COCAREL.
Ah ! c’est agaçant à la fin...
Brusquement, levant les bras au ciel.
Mais, voyons, quand je te dis...
LAURENCE.
Ah ! mon Dieu ! mon mari a levé la main sur moi !
COCAREL.
Moi !
LAURENCE.
Ah ! je savais bien que j’avais épousé un brutal !... Vous voulez me battre, à présent ?... Oh ! comme je suis malheureuse !
COCAREL.
Mais enfin, raisonnons !
LAURENCE.
Laissez-moi, Monsieur !... tout est fini entre nous ; je rentre dans mon appartement et demain je retourne chez ma mère.
COCAREL.
Chez sa mère ? Elle connaît le refrain...
LAURENCE.
Adieu, Monsieur...
Elle rentre chez elle.
COCAREL.
Laurence ! voyons, Laurence !
Laurence lui ferme la porte au nez.
Scène XIII
COCAREL, puis CATULLE
COCAREL.
Non ! mais c’est fou !... mais c’est qu’il n’y a aucune raison !... et avec ça, elle ne veut rien entendre, impossible de m’expliquer. Aussi que le diable emporte cette Adélaïde ! Comment me tirer de là, mon Dieu !
CATULLE.
C’est stupide ! J’arrive d’une brasserie du quartier d’où l’on m’a mis à la porte. Il paraît qu’on ne laisse pas entrer les collégiens. C’est vexant pour l’uniforme.
COCAREL, à part.
Oui ! ah, quelle idée !...
Haut.
Ah ! bien ! tu arrives à propos, je puis avoir confiance en toi, n’est-ce pas ?
CATULLE.
Pourquoi ?
COCAREL.
Enfin, je puis avoir confiance ?... Oui, eh bien ! tu vas me rendre un service.
CATULLE.
Volontiers. Quoi ?
COCAREL.
Tu vas faire la cour à ma femme.
CATULLE.
Moi ?
COCAREL.
Oui !... je t’en prie.
CATULLE.
Ah ! elle est bonne, celle-là ! Ce n’est pas sérieux ?...
COCAREL.
Rien de plus sérieux !
CATULLE.
Allons donc ! tu n’y penses pas. Moi ! faire la cour à Laurence !... d’abord, je ne saurais pas...
COCAREL, incrédule.
Ah bien !
CATULLE.
Qu’est-ce que je lui dirais, enfin ?
COCAREL.
Eh bien ! qu’est-ce que tu dis d’habitude dans ces cas-là ? Enfin, qu’est-ce que tu dis aux femmes quand tu veux leur faire la cour ?
CATULLE.
Eh bien, je leur dis : « cristi ! Vous êtes chouette, vous ! Vous devez être rudement chic en maillot ! »
COCAREL.
Diable ! c’est un peu raide !
CATULLE.
Eh bien ! ça me réussit, à moi.
COCAREL.
Oui ? Mais enfin, cela n’est pas le cas. Non, tu lui diras que tu l’aimes... que tu la trouves charmante... Est-ce que je sais, moi ?
CATULLE, avec une moue de dédain.
Oui, une panade.
COCAREL.
Enfin, tu trouveras. Mais tout cela, bien entendu, en tout bien, tout honneur.
CATULLE, désappointé.
Ah !
COCAREL.
Comment ! « ah !... »
CATULLE.
Ah !... bien. C’est égal !... C’est une drôle d’idée que tu as là !
COCAREL.
Ça, c’est mon affaire ! Allons, je rentre chez moi... je te laisse, courage !
Il rentre chez lui.
Scène XIV
CATULLE, puis LAURENCE
CATULLE.
Ah bien ! il s’en va... ah çà ! qu’est-ce que tout ça veut dire ?... il veut que je fasse la cour à sa femme, lui, le mari !... c’est pouffant ! Oui, seulement, il m’a dit : « en tout bien, tout honneur » ; jusqu’où cela va « en tout bien, tout honneur ». Ah ! bien ! Je verrai bien jusqu’où je pourrai aller. C’est égal, il est très délicat, Sosthène, de m’avoir fait cette proposition... parce que sans cela, cela ne me serait jamais venu de moi-même. J’aurais cru être indiscret... ah ! pristi, faire la cour à Laurence. Mais j’en ai tellement envie que je pourrai jamais y arriver !... ah ! sans cela !
Il remonte dans le fond.
LAURENCE, très agitée.
Allons, je n’ai que ce moyen, c’est osé !... mais, monsieur Cocarel, c’est vous qui l’aurez voulu !
CATULLE.
Ma cousine !
LAURENCE.
Oh ! Catulle !... j’avais bien reconnu votre pas de ma chambre. Alors, je suis venue.
CATULLE, à part.
Ah ! mon Dieu, est-ce qu’elle... aussi ?
LAURENCE, à part.
Ma foi, c’est une envie. Cela n’a pas d’importance.
CATULLE.
Ah ! Laurence ! J’ai bien des choses à vous dire...
LAURENCE.
Vraiment !
À part.
Tiens, tiens, est-ce qu’il y viendrait de lui-même ?... Cela vaudrait encore mieux.
CATULLE, à part.
Je n’oserai jamais.
LAURENCE, très tendre.
Eh bien !
CATULLE.
Eh bien !
À part.
Pristi ! quels yeux !...
Haut.
Oh ! c’est que c’est bien difficile à dire...
LAURENCE, même jeu.
Allons, dites toujours. Est-ce que je vous fais peur ?
CATULLE.
Oh non !
Prenant son courage à deux mains.
Eh bien, je tiens à vous dire que je suis très heureux.
LAURENCE.
Vraiment !
CATULLE.
Ah ! oui, très heureux !... bien heureux de vous voir, de sortir dans cette maison... d’être auprès de vous.
LAURENCE.
Alors, vraiment, vous ne vous ennuyez pas ici ?
CATULLE, bien naïf.
Oh non ! certes !... c’est que je vous aime mieux que les pions, allez.
LAURENCE.
Hein ?
CATULLE, à part.
Son front s’est plissé ! j’ai été trop loin.
Haut et vivement.
Oh ! mais cela ne prouve rien, vous savez, ma cousine, parce que les pions, c’est si désagréable, si embêtant qu’on aime n’importe qui mieux qu’eux. Ainsi...
LAURENCE.
Hein !... eh bien, vous avez une façon de me faire la cour, par exemple.
CATULLE.
De vous faire la cour ?
LAURENCE, embarrassée.
Dame ! Je croyais... je pensais... mais, mettons que je n’ai rien dit !
CATULLE.
Ah ! Mais si !... mais si, ma cousine. Vous avez bien dit. Ah ! c’est que je suis si timide !... et je vous trouve tellement jolie que je perds la tête quand je vous vois. Oui ! j’avais toujours l’intention de vous dire combien je vous trouvais belle !... mais je n’osais jamais.
LAURENCE, avec un soupir de satisfaction.
Allons donc !
CATULLE.
Cela ne vous fâche pas, au moins ?
LAURENCE.
Ah ! c’est que je ne sais si je dois...
CATULLE.
Ah ! cela vous fâche, je le vois bien ! et j’ai eu tort de parler. Je ne vous dirai plus rien.
LAURENCE.
Mais si, mais si !
À part.
Et ma vengeance, alors ?
CATULLE.
Comment, vous permettez ? Ah ! que vous êtes bonne, ma cousine. Alors, vous ne me repoussez pas ?... Vous voulez bien que je vous dise que je vous aime ?...
LAURENCE, à part.
Eh bien !... il va bien !...
CATULLE.
Ah ! si j’avais pu savoir !... Ah !... il y a longtemps que je vous aurais avoué ce que je n’osais vous dire. Mais vous vous montriez si froide avec moi.
LAURENCE.
Moi ?
CATULLE.
Oh ! Mais cela m’est égal. Maintenant que je sais à quoi m’en tenir, je suis heureux !... Je sais que je ne vous suis pas indifférent... que je puis avoir de l’espoir !...
LAURENCE.
De l’espoir ?... Ah ! Taisez-vous, Catulle !... si mon mari vous entendait...
CATULLE.
Ah ! cela lui serait bien égal !... nous sommes très bien ensemble.
Avec feu.
Ah ! Laurence ! Combien nous allons nous aimer, à présent !... nous nous verrons souvent ! Tenez ! voulez-vous aller demain au Palais-Royal avec moi, dites ?
LAURENCE.
Mais vous êtes fou !...
CATULLE.
Ne refusez pas... c’est moi qui offre. Ah ! Laurence, Laurence, que je suis content ! et comme les élèves m’envieront au collège quand ils sauront ma bonne fortune.
LAURENCE.
Malheureux ! qu’est-ce que vous dites ?
CATULLE.
Ah ! vous pensez bien que je vais leur raconter tout cela. Et c’est cela qui enfoncera Badingeard.
Il lui prend la main.
Ah ! ma cousine, je vous aime !... je vous aime !... Laissez votre main dans ma main, laissez-moi vous presser sur mon cœur.
LAURENCE.
Ah ! taisez-vous, Catulle, vous m’entendez ? Catulle, je vous défends...
CATULLE.
Non, non, je ne me tairai jamais !... Je vous aime.
LAURENCE.
Ah ! qu’elle imprudence j’ai faite.
CATULLE.
Je veux m’enivrer de vos regards, de vos sourires ; votre voix m’enchante ! Tout en vous me charme et me séduit ! et je vous trouve belle !
Il se met à genoux.
LAURENCE.
Ah ! mon Dieu !...
Très digne.
Mais Monsieur ! Mais vous me faites une déclaration ?
CATULLE, toujours à genoux.
Ah bien ! oui, cela en a l’air.
LAURENCE.
Comment, vous osez ! Oh !... c’est trop fort !... Taisez-vous ! Il ne m’est pas possible d’en entendre davantage !... Taisez-vous, ou j’appelle !...
CATULLE, marchant sur les genoux.
Vous ne ferez pas cela.
LAURENCE.
Vous verrez bien !
CATULLE, même jeu.
Je vous en défie !...
LAURENCE, saisissant le cordon de la sonnette.
Ah ! vous m’en défiez ?
CATULLE, toujours à genoux.
Ah ! pas de blagues !
À part.
J’ai peut-être été un peu loin.
Scène XV
CATULLE, LAURENCE, COCAREL
COCAREL, qui les considère depuis un moment.
Ah ! parfait !
LAURENCE.
Mon mari !
À Catulle qui est toujours sur les genoux.
Mais relevez-vous donc, vous ! Vous voyez bien que vous me perdez.
CATULLE.
Oh ! ne craignez rien, ce n’est que votre mari.
COCAREL, railleur, descendant entre eux.
Allons, Madame, voilà qui est bien... Il paraît que je vous dérange.
LAURENCE, effrayée de ce qu’elle a fait.
Oh ! Sosthène ! ne crois pas... je t’en supplie !...
COCAREL.
Ah ! à d’autres, Madame.
CATULLE.
Comment ?... Mais... Sosthène !...
COCAREL, bas et vivement.
Chut ! tais-toi... C’est un stratagème.
LAURENCE.
Voyons, mon ami... écoute-moi... je vais tout te dire. Voyons... Soso...
COCAREL.
Il n’y a pas de Soso !... Ainsi, voilà tout ce que vous trouvez pour votre défense : « Voyons Soso ».
CATULLE.
Ah ça !... qu’est-ce qu’il raconte ?
COCAREL.
Savez-vous bien que je puis vous traîner devant les tribunaux ?... Je pourrais vous tuer même tous les deux. Le Code m’en donne le droit... car votre cas est prévu. Oui, Madame.
À Catulle.
Oui, Monsieur. Lisez le Code pénal, article 300 je ne sais pas combien. Ma femme vous donnera le numéro, sa mère le lui a appris.
LAURENCE.
Ah ! mon Dieu, Sosthène !...
COCAREL.
Oui, je pourrais tout cela ; mais ce serait causer un scandale que je redoute...
À Catulle.
Monsieur, vous savez ce qu’il vous reste à faire.
LAURENCE.
Hein !
CATULLE, ahuri.
Comment ?
COCAREL, bas.
Tais-toi donc ! Je te dis que c’est pour rire.
Haut.
Demain, Monsieur, au petit jour, au bois de Vincennes...
LAURENCE.
Ah ! Dieu du ciel ! il veut se battre avec cet enfant ! il veut le tuer ! Ah ! ce serait horrible !
À Cocarel.
Non, vous ne ferez pas cela, je ne veux pas !...
COCAREL.
Ah ! Madame... ceci me regarde.
LAURENCE, marchant vers lui.
Mais encore une fois, je vous répète...
COCAREL.
Non.
LAURENCE, brusquement, levant les bras au ciel.
Ah ! vous m’écouterez, Monsieur...
COCAREL, dramatique.
Allez, Madame, tout est fini entre nous ! Je rentre dans mon appartement, et demain je retourne chez ma mère.
LAURENCE.
Voyons, Sosthène, tout cela n’est pas sérieux, voyons ! Je vous jure qu’il ne s’est rien passé et que nous sommes innocents.
COCAREL.
Ah ! cessez cette comédie, Madame ! Dieu merci, je vois clair !... Comment, je vous trouve là, tous les deux, seul à seul, Catulle à vos genoux !
LAURENCE.
Et qu’est-ce que cela prouve ?
COCAREL.
Comment, qu’est-ce que cela prouve ? Voilà un homme et une femme en tête à tête au milieu de la nuit, l’homme est aux genoux de la femme, ou la femme sur les genoux de l’homme, n’importe ! On arrive ! On les surprend ! Et vous voudriez me faire croire qu’ils ne sont pas coupables ? Allons donc, Madame, vous savez bien que vous les condamneriez vous-même.
LAURENCE.
Ah ! Sosthène, je vous comprends ! Oui, j’ai eu tort, je n’aurais pas du douter de toi !... J’aurais dû attendre tes explications !... Enfin, je sais... j’ai été trop méfiante. Eh bien ! je te demande pardon, mais je te jure que je n’ai rien à me reprocher.
COCAREL.
Eh ! parbleu, je le sais bien...
Laurence se jetant dans ses bras, ils s’embrassent.
CATULLE, qui les regarde, ahuri, après un temps.
Non, moi je ne m’en mêle pas... parce que je n’y comprends rien du tout.
COCAREL, à Laurence.
Cela t’apprendra dorénavant à ne plus te méfier de ton mari, à ne plus l’accuser à la légère... Es-tu bien rassurée, au moins, maintenant ?
LAURENCE.
Moi ? Oh ! tout à fait !... seulement... tu me raconteras tout ! Hein ? tout de même.
Scène XVI
CATULLE, LAURENCE, COCAREL, ADÉLAÏDE
ADÉLAÏDE, passant la tête à la porte du fond.
On ne se chamaille plus ? On en est aux épanchements. C’est le moment. Allons-y de la larme.
Éclatant en sanglots.
Ah, ah, ah !
COCAREL, LAURENCE, CATULLE.
Hein ! Qu’est-ce que c’est ?
ADÉLAÏDE.
Ah ! c’est égal... quitter Monsieur et Madame qui ont toujours été si bons pour moi !...
LAURENCE.
Ah ! c’est vous ?
ADÉLAÏDE.
Oh ! j’en ai le cœur fendu... Enfin ! Qu’est-ce que j’ai fait, voyons ?
COCAREL.
Ah bien ! puisque vous voilà, je ne serais pas fâché d’avoir une explication. Je voudrais bien savoir comment et pourquoi vous m’avez joué cette comédie dans l’obscurité. Il me semble que vous auriez pu me dire que vous étiez là, au lieu de vous faire passer pour Madame...
ADÉLAÏDE.
Dame, Monsieur m’a dit : « Dis donc, est-ce que c’est toi ? » Eh bien, puisque c’était moi, je ne pouvais pas dire que ce n’était pas moi. Je ne vois pas pourquoi je vous désavouerais et j’aime trop la vérité pour dire que ce n’est pas moi quand c’est moi.
COCAREL, avec conviction.
Cette fille est bête à lier...
LAURENCE, à Cocarel.
Oh ! en vérité, je n’en reviens pas. Comment, Sosthène... alors, vraiment tu croyais que c’était moi qui ?...
COCAREL.
Dame ! dans le noir...
LAURENCE.
Cela ne me plaît pas ! Mais enfin, cela me rassure !
COCAREL.
Eh ! bien, es-tu convaincue ?
LAURENCE.
Oh ! je crois bien... et la preuve : « Adélaïde, je vous garde ».
ADÉLAÏDE.
Ah ! que Madame est bonne ! Que le bon Dieu lui rende la pareille !